• Juillet 1918,l'armée française gagne la guerre. Récit. Et scandaleux silence complet des médias !

    Il y a un siècle, la victoire et ce qui s’en suivit

     

    Par Christian Darlot − Août 2018

     

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    Le fait politique le plus frappant de cet été 2018 est le silence complet sur l’un des événements les plus importants de l’Histoire de l’Europe : en juillet 1918, l’armée française gagna la guerre. Puisque la propagande qui tient lieu d’information ne cesse de harceler l’esprit par des détails insignifiants et bientôt oubliés, il faut rappeler l’essentiel.

     
    Rivalités mimétiques

    La Grande-Bretagne et l’Allemagne, longtemps alliées contre la France, devinrent
    progressivement concurrentes commerciales après que la Prusse eut fédéré autour d’elle les États allemands. 1.  Pendant le dernier tiers du XIXe siècle, des entrepreneurs hardis développèrent l’industrie allemande, tandis que les maîtres britanniques de la banque choisirent d’étendre leur contrôle financier sur le monde, au moyen d’une monnaie forte mais au détriment de la puissance industrielle. Dès la fin du XIXe siècle, les productions des États-Unis et de l’Allemagne dépassèrent celles de la Grande-Bretagne. Aussi, par analogie avec les anciennes guerres dynastiques, des historiens imaginatifs ont-ils nommé « Guerre de succession d’Angleterre » le conflit aux aspects multiples qui dura pendant trente années de 1914 à 1945. Réducteur, mais bien pensé.

    À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le moteur à explosion commença à supplanter la machine à vapeur, et donc l’essence à remplacer le charbon. Au début du XXe siècle, l’État allemand entreprit de développer une marine de guerre, et des firmes allemandes commencèrent à construire le chemin de fer de Bagdad pour fournir l’Allemagne en pétrole du Proche Orient et lui ouvrir l’accès au Golfe Persique. Les voies de communication vers l’Asie risquaient d’échapper  au contrôle maritime britannique. Inquiets, les financiers de Londres et les politiciens à leur service voulurent contrecarrer ces développements, mais, n’ayant d’autre armée que des troupes coloniales insuffisantes pour affronter l’armée allemande, ils cherchèrent un allié sur le continent. Ils pensèrent, bien sûr, à la France, opposée à l’Allemagne par l’irréductible contentieux sur l’Alsace-Lorraine, hérité de Napoléon III – dernier exemplaire en date d’une longue série de crétins couronnés. Malgré des siècles de conflits entre la Grande-Bretagne et la France, cette alliance ne présentait pas de risque pour la Cité, car, depuis la suite de défaites de 1713, 1763 et 1815, dues aux politiques irréalistes de souverains chimériques, les possédants français, craignant plus le peuple qu’un pouvoir étranger, s’efforçaient d’imiter le régime politique anglais afin de maintenir leur domination sociale. Mandaté par les dirigeants britanniques, le roi Édouard VII, habitué de longue date à se procurer à Paris de la chair féminine, vint officiellement s’y fournir en chair masculine. En chair à canon.

    Tâche difficile car, dans l’opinion publique française, le pouvoir britannique suscitait horreur et réprobation. Sa réputation avait sombré au fond d’un abysse. De l’or ayant été trouvé de 1873 à 1887 sur le territoire des républiques indépendantes boers, Transvaal et Orange, l’armée britannique avait été envoyée les soumettre aux financiers, sous prétexte de défendre les droits des immigrants britanniques. 2. Se heurtant à forte résistance, le commandement britannique avait décidé en 1901 de faire plier les combattants boers en coupant leur ravitaillement. Réunissant pour la première fois les potentialités du chemin de fer et du barbelé, il avait inventé les camps de concentration, promis à un bel avenir, où avaient été regroupés les femmes, enfants, vieillards chassés de leurs fermes détruites. Quiconque avait parmi ses proches un combattant de l’armée boer recevait demi-ration. Cette sous-alimentation délibérée avait causé en peu de mois une mortalité atteignant dans quelques camps jusqu’à un tiers environ. 3. Plusieurs dizaines de milliers de civils non combattants moururent ainsi de malnutrition. Le régime imposé aux Africains noirs était un peu moins sévère, car leur influence politique était faible. Comme prévu, les combattants, privés de ravitaillement et angoissés pour les leurs, avaient déposé les armes afin que les survivants ne périssent pas. Les noms de Lord Kitchener et Lord Milner restent attachés à cette initiative novatrice et efficace… Sûrs de leur vocation à diriger le monde et convaincus par ce succès du bien-fondé de leur méthode, les dirigeants britanniques n’avaient cure de la vague d’indignation déclenchée à travers l’Europe, qui bien sûr retomba bientôt, comme toute vague. 4.

    Les gouvernants français, rompus depuis un siècle à céder pour se concilier leurs
    suzerains britanniques, ne s’attardèrent pas à critiquer ces pratiques viriles, et conclurent l’entente proposée. C’est la perte de l’Alsace-Lorraine qui contraignait la France à s’aventurer vers une guerre générale ; sans cela, l’intérêt national eût été de laisser les deux monstres s’entre-dévorer. Les dirigeants britanniques continuèrent les manœuvres diplomatiques, et, complétant l’alliance franco-russe, réussirent un rapprochement avec la Russie, dont pourtant le régime autoritaire et antisémite répugnait à l’opinion publique britannique. L’encerclement de l’Allemagne se resserra ainsi peu à peu, d’autant plus facilement que la rigidité d’esprit des dirigeants allemands, l’orgueil et l’expansionnisme pangermanistes, renforcés par l’unification d’un pays qui avait cruellement souffert de siècles de divisions, suscitaient, parmi ses voisins, la méfiance, voire l’hostilité. Les tensions internationales croissantes restaient toutefois assez disparates pour que la paix se maintînt. En une ère de progrès technique et de confiance rationaliste, la guerre paraissait un archaïsme que la diplomatie pouvait surmonter. En 1913, le « concert des puissances » avait réussi à juguler les atroces guerres balkaniques, et les risques de guerre générale paraissaient s’estomper.

    La guerre…

    Mais en juin 1914, l’attentat de Sarajevo déclencha une dynamique politique nouvelle. En quelques semaines, les champs de tensions s’orientèrent  parallèlement, puis se resserrèrent, et un clivage sépara deux blocs de pays. L’éclatement de la guerre suscita des sentiments contraires de fatalité et de surprise. Comme souvent, les oppositions structurelles ne causèrent pas la crise mais en orientèrent l’évolution. Et, fait déterminant, les ambitions des oligarchies
    industrielles et surtout bancaires transformèrent une crise diplomatique en guerre ouverte.

    Les deux camps aux prises en 1914 regroupaient chacun une coalition hétéroclite
    d’États traditionnellement opposés. D’un côté la France et la Grande-Bretagne restées en guerre presque permanente pendant huit siècles ; la Russie tsariste et la France républicaine, ainsi que la Grande-Bretagne libérale et la Russie autoritaire, deux puissances en rivalité dans toute l’Asie. De l’autre côté, les Allemands et les Autrichiens, longtemps rivaux pour la suprématie en Allemagne ; les Hongrois et les Bulgares, alliés aux Turcs dont ils avaient repoussé les agressions ou subi l’occupation pendant cinq siècles. Bien évidemment, ces regroupements n’étaient pas dus à des passions nationales.

    Au début de la guerre, l’armée française était inférieure à l’armée allemande dans presque tous les domaines : effectifs inférieurs, matériel dépassé, uniformes passéistes, entraînement désuet, tactique hors d’âge, stratégie inexistante. Les seuls domaines où la France dépassait l’Allemagne était l’artillerie de campagne – le fameux 75 surclassait le 77 allemand – et les explosifs à la mélinite. Encore la mélinite avait-elle fait comprendre au commandement français que les capacités de résistance des fortifications françaises seraient très amoindries dès qu’un explosif comparable serait mis au point en Allemagne. Or l’Allemagne était à l’époque le pays de loin le plus novateur en chimie. Conscients de l’impréparation de l’armée, les dirigeants français nommèrent à sa tête l’ingénieur Joffre, qui avait combattu lors d’expéditions coloniales, mais avait ainsi appris à improviser plutôt qu’il n’avait acquis une expérience militaire utile face à une armée moderne. Choisi pour son obédience politique (comme hélas bien d’autres généraux) et ses compétences logistiques, chargé de rattraper le retard en artillerie lourde, ce technicien n’aurait dû laisser de souvenir que dans les archives du ministère, mais la crise européenne le promut grand chef de guerre, pour le plus grand malheur des soldats.

    L’évolution des techniques guerrières, mitrailleuses, barbelés, artillerie lourde, rendait à cette époque de l’Histoire la défensive beaucoup plus efficace que l’offensive. En outre, l’infériorité de l’armée française par rapport à l’armée allemande la condamnait à la défensive et à la contre-attaque. Mais des chefs, impatients de cette contrainte, voulurent hâter la victoire par l’offensive et leur faction l’emporta en 1910. Dès le début de la guerre, le choix intempestif de l’offensive mena à des défaites, et entraîna d’emblée l’invasion du territoire national. 5.

    Dès lors les chefs militaires firent face à un dilemme : rester sur la défensive en concédant à l’ennemi le territoire conquis qu’il utiliserait comme gage lors des négociations de paix, ou tenter de reprendre ce territoire au risque de subir de nouvelles défaites et d’aggraver les pertes. Les débats sur la défensive ou l’offensive opposèrent pendant toute la guerre des factions de généraux, Lanrezac/Joffre, Lyautey/Nivelle,  Pétain/Foch, et déterminèrent les décisions des dirigeants politiques. Au-delà des mesquineries de chefs, la portée de ce choix était dramatique puisque toute grande attaque mal préparée, ou toute défense mal organisée, coûtait la vie à des dizaines de milliers d’hommes, comme les désastres du Chemin des Dames le prouvèrent par deux fois.

    Pendant ces sanglantes péripéties, relatées dans d’innombrables livres, l’armée
    allemande garda l’initiative et l’armée française ne put que réagir. Jusqu’en juillet 1918, des centaines de milliers de Français furent sacrifiés dans des actions offensives qui n’avaient pas la moindre chance de réussir, et ne permirent même que rarement des diversions efficaces, utiles pour aider des alliés. Seules les actions défensives furent pour les Français des succès, mais parfois payés à un prix insensé. Ainsi, à Verdun, la défense avait été dégarnie pour préparer l’offensive de la Somme, et malgré plusieurs mises en garde du commandement local et d’officiers en inspection, le haut commandement fut surpris par l’attaque allemande, et sa réplique fut d’abord d’opposer des poitrines et des mitrailleuses à une pluie incessante d’obus.

    Dans l’ensemble, du côté français, cette guerre fut très mal menée par des chefs irréalistes dont bon nombre considéraient les hommes presque comme des outils de guerre. Cette mentalité fut heureusement contrebalancée par le développement d’une puissante industrie de guerre, impulsée par le gouvernement et par des industriels et ingénieurs civils, et servie par des ouvriers rappelés du front, par des hommes venus des colonies, ainsi que par un grand nombre de femmes qui affrontèrent de difficiles conditions de travail. 6

    Un million de soldats et marins de l’empire britannique furent tués ou blessés, et sont encore solennellement honorés par les Anglo-Saxons, qui continuent à valoriser la notion de « bonne guerre ». Ce nombre accablant est dû aux erreurs du commandement britannique dont les notions tactiques retardaient encore plus que celles des Français. Ces fautes furent en partie suppléées par la traditionnelle discipline nationale, soutenue par la sévérité du châtiment à la moindre faiblesse. La marine prit une grande part à la guerre, et le blocus britannique des ports allemands était si efficace que la famine sévit dans des villes des empires centraux.

    Quant aux industriels et banquiers étasuniens, ils fournirent longtemps les deux camps en matières premières, matériels de transport et crédits, et prolongèrent ainsi un conflit dont ils tiraient de grands bénéfices. Les livraisons pour l’Allemagne passaient par des ports neutres, surtout néerlandais, et des livraisons pour les Alliés passaient parfois en contrebande, comme dans le fameux cargo Lusitania. Lorsqu’en 1917 les États-Unis se rangèrent aux côtés de l’Entente, des esprits caustiques dirent qu’ils soutenaient leurs débiteurs encore solvables. À court de trésorerie, le gouvernement britannique recourut aux plus opulents banquiers de Londres et de New-York, et, pour obtenir des crédits, endossa la Déclaration Balfour. Cette simple lettre rédigée par Lord Milner et envoyée par Lord Balfour à Lord Rothschild, eut des conséquences immenses, puisqu’elle aida, certes, à la victoire des Alliés, mais exacerba l’antisémitisme en Allemagne et causa les conflits qui dévastent à présent le Proche-Orient. Pour achever de peindre à grands traits un tableau bien connu, il faut souligner le courage des armées russes et la ténacité des armées allemandes face aux forces coalisées de leurs adversaires.

    En mars 1918, le gouvernement bolchevique conclut avec le gouvernement impérial allemand le traité de Brest-Litovsk, par lequel l’Allemagne mit la main sur d’immenses territoires russes et polonais, dont la mise en coupe permettrait de résoudre ses difficultés d’approvisionnement. L’État-major allemand ne laissa sur place que des troupes d’occupation, et envoya vers l’Ouest les forces combattantes, environ un million d’hommes. La possibilité se présentait enfin d’écraser les adversaires britanniques et français avant que les renforts étasuniens ne deviennent opérationnels, et d’obtenir une paix, certes pas triomphale comme l’eût permise une victoire dès 1914, mais encore avantageuse. Restait à décider des moyens.

    Pour Ludendorff et son entourage, les chars n’étaient pas des armes efficaces. 7. Cette opinion leur venait de l’échec des « cuirassés terrestres » de 1916-1917, les chars français Saint-Chamond et Schneider, et surtout les chars britanniques. Les ingénieurs britanniques avaient imaginé de très grands chars, pouvant contenir jusqu’à une vingtaine d’hommes, dont les moteurs ne pouvaient donc être que sous-dimensionnés. Pour tenter d’alléger ces engins lourds et lents, le choix avait été fait de ne pas les cloisonner. Les malheureux soldats qui y étaient enfermés subissaient le bruit du moteur, les vapeurs d’huile, une partie des gaz d’échappement, la chaleur, et la résonance abrutissante des coups de feu de tout l’équipage. L’arrivée de l’obus allemand les délivrait de cet enfer. Pour l’aviation allemande, repérer ces grosses cibles et les signaler à l’artillerie étaient tâches de routine.

    Pensant les chars inefficaces, l’État-major allemand décida de tirer parti des aptitudes guerrières de son peuple et de hausser des divisions entières au niveau d’efficacité combattante des petites unités qui avaient remporté des victoires dans les pays baltes. Il généralisa donc la nouvelle tactique d’infiltration. Des escouades de neufs hommes apprirent à pénétrer dans les lignes adverses, à contourner les lieux de forte résistance et à s’acharner contre les points faibles. Par cette « tactique de l’ouvre-boîte », une percée locale permettait de prendre à revers les tranchées ennemies. C’est une des pratiques guerrières que les armées modernes maîtrisent.

    Depuis l’échec de l’offensive du Chemin des Dames en avril 1917, l’État-major français ne pouvait que rester sur la défensive, et les gouvernants politiques eurent la sagesse de nommer à sa tête le général Pétain, ancien colonel d’infanterie, connu comme temporisateur. Sitôt nommé, il donna l’ordre d’organiser la défense en profondeur, en trois lignes éloignées de plusieurs kilomètres. En avant, des nids de mitrailleuses devaient retarder l’ennemi. Les soldats s’y remplaçaient par rotation, sachant bien que ceux que le hasard ferait s’y trouver le jour de l’attaque ennemie n’auraient qu’à combattre jusqu’à la mort. Ce qu’ils firent le jour venu.

    En mars 1918, l’attaque allemande balaya les premières lignes britanniques et
    françaises. En quelques jours, les armées britanniques furent mises  pratiquement hors de combat, et les armées françaises durement éprouvées. En quelques secteurs où le dispositif resserré propice à l’attaque avait été maintenu, toutes les lignes de défense furent anéanties en quelques heures. 8. Mais, partout où la défense en profondeur avait été mise en œuvre, les vagues  d’assaillants s’épuisèrent l’une après l’autre contre les lignes échelonnées.

    L’État-major allemand, pour tromper l’ennemi, faisait faire des travaux de départ d’attaque en deux lieux différents et, pensant bien que ses messages codés seraient interceptés, entretenait l’incertitude en donnant les mêmes ordres à deux armées. Le 1er juin, un changement de code empêcha l’État-major français de connaître l’axe de l’attaque allemande attendue. Ne pouvant défendre deux voies d’invasion à la fois, les chefs français hésitaient où placer les troupes. Geoges Painvain, ingénieur, officier cryptologue, et une équipe de déchiffreurs, se concentrèrent sur ce nouveau code et le cassèrent en deux jours. Les heures comptent en un tel cas. Ils déchiffrèrent ainsi un message décisif de l’État-major allemand à l’une des armées : « Hâter l’approvisionnement en munitions même pendant le jour tant que l’on n’est pas vu. » Ces mots prouvaient la hâte, et la radio-goniométrie indiqua l’emplacement de l’armée allemande destinataire. Les chefs français surent où placer les troupes de renfort, et l’attaque du 9 juin fut repoussée. Ce message fut nommé le radiogramme de la victoire. Admettons même que l’affaire ait été un peu romancée : qui s’en souvient à présent ?

    Comme maints grands capitaines avant eux, et comme quelques autres après, les chefs militaires allemands se laissèrent griser par les succès tactiques. Ils ne surent pas choisir un axe de pénétration vers Paris, et ne se décidèrent pas non plus pour l’autre option possible : chasser les armées britanniques jusqu’aux ports français dont leur approvisionnement dépendait. Ils dispersèrent leurs forces. L’offensive s’enlisa.

    À la fin de juin 1918, l’ampleur des pertes contraignit l’État-major allemand à renoncer. Comme souvent, le bilan précis est discuté mais l’ordre de grandeur connu : de mars à juin 1918, en quatre mois, ce sont 900 000 Allemands que l’État-major allemand envoya au tapis. Soit, pour fixer les idées, l’équivalent de 100 000 de ces fameuses escouades bien entraînées. Bien entendu tous n’étaient pas morts, mais blessés, estropiés, mutilés, aveuglés, gazés. Enfoncé Napoléon, qui ne fit périr en Russie que 400 000 hommes de sa propre armée !

    Pendant ces événements, les usines Renault fabriquèrent en série un millier d’exemplaires du char connu sous le nom de FT17. Tirant les leçons de l’échec des grands chars, les ingénieurs avaient choisi des principes opposés. Les nouveaux chars étaient petits, peu coûteux, nombreux, légers et donc correctement motorisés, par conséquent mobiles, assez rapides et ainsi aptes à échapper aux canons adverses. Une cloison séparait le moteur de l’équipage. Une tourelle permettait de tirer vers toutes les directions. Deux hommes d’équipage seulement : un chef de char tireur et un conducteur. Tous les chars du monde dérivent du FT17. 9

    Pendant presque toute la guerre, l’efficacité des armes de défense fit que la tactique contraignit la stratégie. L’offensive d’infanterie ne causa que des massacres inutiles. Les escouades d’assaut allemandes, comme les essaims de chars français, furent des tentatives pour surmonter le blocage tactique, afin de restaurer l’efficacité de la stratégie. En juin encore, la défensive s’imposait et les dispositifs d’attaque resserrés conduisirent à des désastres. Mais en juillet, la mise en service de petits chars permit à nouveau d’articuler la tactique et la stratégie. Ayant enfin son instrument, l’offensive devint efficace : l’audace de Foch, soutenue par la détermination de Clémenceau, devint préférable à la prudence de Pétain. Le 18 juillet 1918, les groupes de chars dissimulés dans la forêt de Villers-Cotterêts attaquèrent par surprise les troupes allemandes et commencèrent l’offensive qui s’acheva le 11 novembre. 10

    Pétain disait : « J’attends les chars et les Américains ». Les chars vinrent et apportèrent la victoire. Les Étasuniens vinrent et apportèrent surtout le réconfort moral. En effet, le gouvernement étasunien voulait organiser une armée nationale autonome et exigea inflexiblement qu’elle passe tout le premier semestre 1918 à s’entraîner. Des instructeurs français et britanniques familiarisèrent les soldats aux conditions de la guerre. Tout le matériel
    militaire, armes et équipement – hormis les vêtements et les tentes – fut fourni par l’industrie française. Aussi en 1918 les Étasuniens combattirent-ils à peine. Les principaux combats furent ceux du Bois de Belleau et de Saint Mihiel, livrés quand la victoire était déjà certaine. Faute d’expérience, l’attaque de Saint-Mihiel donna lieu au plus gigantesque embouteillage de l’histoire militaire, tel que, si l’armée allemande eût encore été en état de combattre, elle aurait pu, en quelques salves d’artillerie, tuer des milliers d’hommes. L’intervention des États-Unis fut toutefois décisive, car, pour le commandement allemand, la certitude que les armées ennemies recevraient des renforts devint, après juin 1918, la certitude de perdre.

    Les pertes étasuniennes furent faibles – mais bien entendu, pour chacun, la mort est toujours le désastre ultime. La plupart des morts succombèrent à la grippe dite « espagnole » parce que l’Espagne neutre ne pratiquait pas la censure militaire et ne cacha pas la virulence calamiteuse de cette épidémie qui tua certains jours plus que le front. Or des études génétiques récentes ont
    montré que cette grippe avait été apportée par les troupes étasuniennes. Son nom devrait être « grippe western ». Comme en Asie à présent, l’élevage dans les mêmes fermes de canards et de cochons favorisa les réorganisations génétiques. Affaiblies par les restrictions, les populations européennes étaient très vulnérables.

    Rappeler les faits, pour rétablir la réalité dans l’esprit de nos contemporains, n’est pas diminuer les mérites des uns ou des autres ; ce n’est pas déterrer la hache de guerre avec nos voisins Allemands, ni manifester de la rancœur à l’encontre des Anglo-Saxons. Le mort ne saisit pas le vif. Ni collectivement ni individuellement, les hommes ne portent la charge des actes de leurs ancêtres. Mais les tempéraments nationaux se transmettent de génération en génération, et ne changent que lentement. Sachons-le et gardons-le en mémoire.

    Quelles leçons tirer de ces événements ?

    Tout d’abord, c’est l’armée française qui étala l’ultime offensive ennemie, la brisa, puis contre-attaqua et détruisit l’armée allemande en 1918, de même que c’est l’armée soviétique qui, entre 1941 et 1943, encaissa le choc de l’armée allemande, puis la cassa. En 1918, la France surclassa l’Allemagne par la technique, l’industrie, la tactique, la stratégie et la diplomatie. Ce n’est pas dire que l’action des Alliés ait été inutile, et ce n’est pas les rabaisser que de constater les faits : 1918 fut la victoire de la France ; 1945 la victoire de la Russie.

    Ensuite, les moyens et les actes doivent, bien sûr, être adaptés aux circonstances, et la difficulté est d’évaluer la réalité avec justesse. Peu d’esprits trouvent la lucidité, la flexibilité et l’audace nécessaires pour s’adapter vite. Après la guerre, les esprits restèrent hantés par les souvenirs horribles des attaques d’infanterie inutiles bien plus que par ceux des attaques de char victorieuses. C’est pour avoir figé leur pensée sur la défensive que les chefs de l’armée française coulèrent les ressources de la France dans le béton de la ligne Maginot. 11

    … et ce qui s’en suivit

    Le traité de Versailles passe en France pour un monument d’injustice, une provocation expliquant l’agressivité nazie. Certes, exclure des pourparlers de paix la principale puissance vaincue fut une décision exorbitante du droit international. Refuser qu’un pays puisse défendre diplomatiquement ses intérêts, le contraindre à souscrire à un traité sans qu’il ait pu en discuter les clauses, était injuste et humiliant. C’était d’emblée rendre le traité odieux au peuple allemand. Mais après que l’Allemagne eut pris l’initiative d’armes nouvelles comme les gaz ou le lance-flamme, et décidé le torpillage des navires neutres sans sommation, ses dirigeants, même renouvelés, avaient peu de crédit. Et en faits d’exigences léonines, leurs prédécesseurs avaient fait bien pis par les traités de Bucarest et Brest-Litovsk, imposés aux gouvernants de la Roumanie et de la Russie. En outre, le traité de Versailles comprenait des clauses de révision, dont plusieurs furent plus tard appliquées au bénéfice de l’Allemagne.

    Les gouvernants des pays vainqueurs feignaient la puissance, mais le plus souvent entérinèrent la situation sur le terrain, faute de moyens de l’infléchir. Ainsi Clemenceau fut accusé d’avoir détruit l’empire d’Autriche-Hongrie par anticléricalisme. Mais cet empire s’était dissout tout seul et nulle volonté humaine n’aurait pu le reconstituer. De même, la Chine et le Japon s’étant rangés parmi les pays alliés, les intellectuels et les étudiants chinois se révoltèrent en apprenant que les concessions territoriales allemandes en Chine – dont la ville de Qing-tao célèbre pour sa brasserie – seraient transmises au Japon plutôt que rendues à la Chine. Mais l’armée japonaise était sur place. Comment convaincre le gouvernement japonais de la retirer ?

    Pour la France, la principale conséquence de la Première Guerre mondiale fut d’achever de la subordonner aux puissances anglo-saxonnes. En effet, jusqu’à 1914, le franc français « germinal » valait son pesant d’or, n’ayant pas subi de dévaluation depuis sa création, au point que des contrats internationaux précisaient que le paiement « aurait lieu en or, c’est-à-dire en francs français payables à Paris ». La contrepartie d’une parité stable était un manque d’investissements réels en France, les épargnants français étant moins incités par les banques à développer l’économie nationale qu’à acheter des titres étrangers (les fameux emprunts russes, mais pas seulement ceux-là). Or l’or de la France avait été en grande partie dépensé pour acheter des matières premières nécessaires à l’industrie de guerre, et des dettes avaient été contractées envers les banques des États-Unis. Le désinvestissement financier était massif.

    Les régions occupées avaient été systématiquement dévastées par l’armée allemande en retraite et devaient être entièrement reconstruites. Les réparations, autres clauses à présent mal comprises du Traité de Versailles, ne visaient donc pas à ruiner l’Allemagne mais à appliquer un principe de droit civil : qui casse paie, ce que formulent juridiquement les fameux articles 1382 sq. du Code Civil 12. Logique selon une vision comptable, cette décision était impolitique. Les noms de Keynes et de Bainville sont attachés à la critique des conséquences économiques et politiques de ces clauses irréalistes. Mais ce que la plupart des Français ignorent, c’est qu’elles ne furent que très peu appliquées. Passée la brève et inefficace occupation du bassin industriel de la Ruhr, l’impasse politique conduisit aux plans Dawes et Young.

    Ces plans de rééchelonnement de dettes, généralement méconnus, eurent au moins autant d’importance que le traité de Versailles. L’Allemagne avait pendant la guerre transféré la plupart de son or aux États-Unis – qui jusqu’en 1916 fournissaient en matières premières tous les belligérants – et se trouvait insolvable. La France était encore solvable et les banquiers étasuniens exigèrent d’abord le paiement intégral des dettes, puis se contentèrent des créances de la France sur l’Allemagne. La part irrécouvrable de la dette allemande fut effacée. La Banque des règlements internationaux, à Bâle, fut fondée pour faciliter les paiements et compensations, mais devint bientôt – et est restée depuis – le centre de coordination des financiers, agissant pour placer peu à peu les gouvernements de tous les pays sous leur coupe. La France ne reçut finalement que le cinquième des réparations versées, et les dernières annuités furent payées par l’Allemagne aux banques étasuniennes dans les années 1990… Ruinée financièrement, diminuée par la mort d’une grande part de sa jeunesse paysanne, scientifique, littéraire, administrative, et contrainte de reconstruire les régions jadis les plus productives, la France dut se soumettre à la tutelle économique et politique des pays anglo-saxons. Pendant quinze ans, ces puissances s’efforcèrent d’abaisser la France et de relever l’Allemagne dans le but de la lancer un jour contre la Russie soviétique. Ce n’est qu’en 1935 que les plus lucides de leurs dirigeants comprirent qu’ils sapaient ainsi leur bastion continental, la France.

    Comme classiquement en Histoire, le pays bénéficiaire des deux manches du conflit mondial fut le pays marginal, loin des champs de bataille, les États-Unis d’Amérique. Après 1945, la reconstruction de l’Europe occidentale, extraordinaire de rapidité et d’efficacité, se fit sous leur direction, relayée par un personnel politique acquis à leurs vues. Depuis, la France n’a échappé à la sujétion aux puissances anglo-saxonnes que pendant la brève ère gaullienne, entre la fin des troubles de la décolonisation et ceux de 1968, et ce fut pour retomber sous la coupe de ses maîtres dès les règnes de Giscard et plus encore de Mitterrand. Mus par leur tropisme anglophile et germanophile, éblouis par l’idéologie libre-échangiste et mondialiste, ces atlantistes décidés, et leurs cours de marquis corrompus, ont conclu des traités de capitulation et sournoisement mis fin à l’indépendance du pays. Depuis 2005, les petits proconsuls que l’oligarchie mondiale a placés tour à tour à la tête de la France n’ont d’autre mission que d’achever de détruire son tissu économique et social, afin de faire d’elle une province d’un empire transatlantique, sous la houlette régionale de l’Allemagne.

    En effet, maintes compagnies financières mondiales sont les mêmes qu’il y a un siècle ; quelques noms ont changé, et les plus grosses ont avalé des petites. Par la convergence des intérêts, la cooptation de têtes pensantes sélectionnées et le formatage des esprits, les oligarchies persistent au fil des générations, en se renouvelant et adaptant leurs actions aux innovations techniques et aux changements politiques. Surtout issues des sociétés anglo-saxonnes et israélienne, elles tirent profit du réseau des pays anglo-saxons et des institutions internationales créées selon leurs intérêts : BRI, FMI, BM, OMC, OTAN, UE. Les dominants du début du XXIe siècle sont ainsi les successeurs de ceux qui au début du XXe envenimèrent une crise locale en une guerre mondiale dont ils tirèrent d’immenses profits. Leurs desseins de domination mondiale n’ont pas changé. Organisant les migrations pour déstructurer les sociétés, recourant sans cesse à la force, ils sont prêts à prendre des risques… pour les autres.

    Un siècle après la victoire de 1918, la France, dépouillée de sa souveraineté,
    désindustrialisée, chargée de dettes infondées, a perdu une grande guerre économique et politique menée au moyen du libre-échange et par le truchement de l’Union européenne. La perte de savoir-faire et la déculturation menacent son avenir même. Elle est à présent entraînée dans les guerres impérialistes israélo-anglo-saxonnes, désastreuses et contraires à sa tradition. Ayant abdiqué toute fierté, ses classes dominantes se sont rangées par intérêt du côté adverse
    dans le conflit imposé au pays. Encore en retard d’une guerre, matraquées par la propagande et accablées d’impôts, les classes moyennes, par crainte des guerres entre puissances que la bombe atomique ne rend pourtant plus possibles, ont suivi les dominants dans la capitulation. Privé d’influence sur son sort, privé de travail, le peuple est appauvri chaque année davantage. À l’union sacrée a succédé la fragmentation d’une société divisée en classes indifférentes les
    unes aux autres, et même en ethnies séparées, voire localement hostiles. Il y a un siècle, les États avaient encore une marge de manœuvre, et la tactique contraignait la stratégie, tandis qu’à présent c’est la stratégie des oligarchies qui contraint la fonction des États, les rapports sociaux, et jusqu’aux comportements des familles et des personnes. Se libérer par l’action collective à la base sera donc très difficile, mais il est grand temps que les peuples inventent les moyens de reconquérir leur liberté, aussi menacée à présent qu’elle l’était il y a un siècle.

    Christian Darlot

    Christian Darlot est chercheur au CNRS en neurosciences et affecté à un laboratoire de l’INSERM.

    Notes

     
    1.  Les traités de 1814 et 1815 attribuèrent la région de la Ruhr à la Prusse. Par une coïncidence politique et géologique imprévisible, le royaume le plus militariste d’Europe disposa ainsi de très grands gisements de charbon et de fer contigus. Il en fit ce qu’il savait faire : des canons.
    2.  Pur impérialisme, déjà drapé dans le prétexte des Droits de l’Homme
    3.  Cette extermination des faibles par la faim, dans la tradition britannique du massacre des Amérindiens et de la Grande Famine d’Irlande, fut assumée par Lord Kitchener. Dans le langage convenu du Grand Larousse du XXe siècle, le but de ces crimes de masse était de « lasser l’adversaire par des rigueurs excessives ».
    4. Des traces de cette indignation subsistent dans des noms de rues de maintes villes de France: « rue du Transvaal », « rue des Boers ». Mais l’apartheid des années 1950-1990 a depuis effacé le souvenir de ces événements
    5. À la gauche (Ouest) du dispositif français, la cinquième armée, menacée d’encerclement par les armées allemandes qui avaient envahi la Belgique, dut son salut à la lucidité de son chef, le général Lanrezac, réputé le meilleur stratège français. Malgré une victoire tactique à Guise, il ordonna, pour éviter l’enveloppement, une retraite qui dura deux semaines et ne s’arrêta qu’à la Marne. L’État-major français, dont les ordres irréalistes avaient failli faire tout perdre, récompensa Lanrezac en le privant de commandement. Deux années plus tard, lorsque – Joffre parti – un autre  commandement lui fut proposé, il déclina en arguant que sa réputation avait été trop entachée par des calomnies pour que son nom inspire confiance aux soldats. Après la guerre, il fut élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur, ce qui ne remplace pas un commandement ni un maréchalat
    6. Les régions industrielles du Nord et de l’Est ayant été envahies, il fallut développer pendant la guerre la métallurgie de Saint-Étienne et Caen, et convertir les usines de mécanique des grandes villes.
    7. Néanmoins, une vingtaine d’exemplaires d’un char allemand furent construits : énorme cloporte instable, trop ras-du-sol pour se déplacer sur terrain accidenté, il fut inefficace. Les Allemands utilisèrent quelques chars britanniques de prise, mais trop peu pour les employer systématiquement en appui d’infanterie.
    8. La déroute la plus grave eut lieu au Chemin des Dames, où le général Duchêne, partisan de l’offensive, sectateur de la « chapelle Foch », avait refusé une organisation en profondeur, arguant que le terrain ne s’y prêtait pas. L’attaque allemande tronçonna d’un seul coup les trois lignes proches, et dispersa les défenseurs. Pis encore, le général s’étant réservé l’ordre de faire sauter les ponts sur l’Aisne, et les communications étant interrompues, les ponts furent saisis intacts par les Allemands. Les pertes humaines côté français furent d’environ 150 000 hommes.
      Ce désastre eut un grand retentissement, et, entre les deux guerres, fut cité par les partisans de la défense. Lors de la guerre suivante, cette faute de commandement d’un partisan de l’offensive entraîna donc l’excès opposé.
    9.   Le nom du général Étienne est attaché à la mise au point et à la mise en œuvre des premiers chars.
    10. Après 1918, la sclérose du commandement français fit oublier les conditions de ce succès, mais elles ne furent pas oubliées du côté allemand. En mai 1940, les chars allemands dissimulés dans la forêt des Ardennes attaquèrent par surprise les troupes françaises et commencèrent l’offensive qui s’acheva à Dunkerque.
    11. La défense statique sur une seule ligne a évidemment les inconvénients d’indiquer à l’ennemi où le combat aura lieu, et, en cas de revers, de laisser les défenseurs déconcertés, sans position de repli ni autre manœuvre prévue.
    12.  Devenu l’article 1240 dans la nouvelle rédaction.

     

    http://lesakerfrancophone.fr/il-y-a-un-siecle-la-victoire-et-ce-qui-sen-suivit

     

     

     


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